Du 14 au 18 octobre, une de nos journalistes était à Taïwan afin de réaliser des reportages pour notre agence de presse. Cette période coïncide avec le lancement de Joint Sword-2024-B, un manœuvre militaire d’ampleur, que la Chine a organisée autour de l’île voisine. Lolita Péron, qui était sur place, nous dévoile comment elle a vécu cette situation.
Nihao (Bonjour) ! Il est cinq heures du matin. La ville de Taipei se réveille doucement. Allongée dans mon lit, j’entends les moteurs de voiture et de scooter qui remontent de la rue. C’est mon premier réveil à Taïwan. Le décalage horaire dans les pattes, je n’arrive pas à me rendormir. Pas grave… Je décide de me lever et d’aller me chercher un bubble tea.
A Taïwan, le café est imbuvable. Proche de celui qu’adorent les jeunes européens, le bubble tea à Taïwan, est un thé noir mélangé avec du lait dans lequel flottent des perles de tapioca, breuvage en vogue dans le pays. Les jeunes en ont tous à la main, alors je me suis dit que ça ne devait pas être mauvais. Spoiler alert : j’ai apprécié, c’est très frais et ce n’est pas aussi sucré que ça en a l’air.
Sur le chemin, plusieurs choses me frappent : la chaleur d’abord ; il fait déjà une trentaine de degrés et l’air est très lourd, très humide. J’ai décollé de Paris en manteau et jean et je suis à présent en pantalon en toile et t-shirt à bretelles. A la mi-octobre, retrouver de la chaleur fait du bien.
Dans les rues de Taïpei, les Taïwanais marchent lentement. Comme-ci ils n’étaient jamais pressés. Ce qui force à une certaine tranquillité, il faut l’avouer. J’ai compris bien après, que s’ils marchent si lentement, c’est pour ne pas subir la chaleur et suer à grosses gouttes. J’ai rapidement ralenti ma démarche d’Occidentale. J’ai séché…
Les rues sont pleines de commerces en tout genre. Des boutiques de vêtements, d’équipements pour téléphone (évidemment), d’alimentation, de chapeaux, de gants, de chaussures, de plats, de luminaires… Chaque échoppe est spécialisée dans un objet. Je me demande encore comment tous ces petits entrepreneurs font pour vivre, tant il y a de magasins au mètre carré. Il est déjà six heures, mon bubble tea dans la main, je suis émerveillée et l’ambiance est paisible.
Plus de peur que de mal
Il est 14 heures. Ce midi, c’était bao au porc épicé. Très bon choix. Tout d’un coup, mon téléphone n’arrête pas de vibrer. Un premier message de mon amoureux, puis un de ma mère et enfin un de mes grands-parents. Il est huit heures en France, tout le monde se réveille. « Tu vas bien ? Je viens de voir que la Chine encercle Taïwan… J’espère qu’il ne va rien t’arriver » ; « Si tu peux m’appeler pour me dire que tout va bien, je suis inquiète » ; « Papi me dit que les Chinois envahissent Taïwan. Fais attention. Si ça ne va pas, tu rentres »… Je lis leurs textos les uns après les autres et je ne comprends rien. Personne autour de moi n’a l’air tétanisé, quand j’ai quitté l’hôtel ce matin personne ne m’a averti d’un problème et sur la télé du restaurant aucune information concernant une possible attaque chinoise.
Je saisis mon sac à dos, je prends mon ordinateur et j’ouvre une page Google. Je décide d’aller feuilleter quelques journaux français pour élucider ce qu’il se passe. « Pékin a lancé ce lundi 14 octobre des manœuvres militaires autour de Taïwan. Ces exercices baptisés Joint Sword-2024B ont pour objectif de tester les capacités opérationnelles conjointes des troupes », indique BFM TV. « Selon les autorités taïwanaises, 125 avions chinois et 17 navires de guerre, un record, ont encerclé l’île au cours de cette opération » ajoute Les Echos. « La Chine accuse les autorités taïwanaises actuelles de vouloir creuser la séparation culturelle entre l’île et le continent. En réponse, elle a accentué sa pression sur l’île, en renforçant notamment son activité militaire autour du territoire », précise Le Monde. Si mes proches ne s’étaient pas inquiétés, je ne serais au courant de rien…
Les médias internationaux enveniment la situation
Il faut dire qu’atour de l’île, les manœuvres militaires chinoises sont récurrentes. En effet, Joint Sword-2024B est le troisième exercice militaire de ce type depuis 2022. « Je suis ici depuis 2013. Les manœuvres militaires chinoises sont nombreuses. Parfois, nous sommes mis au courant et parfois non. Pour les Taïwanais, ça fait partie du quotidien, tout comme les typhons. Ils ne s’arrêtent pas de vivre », m’explique Stéphane Peden, Directeur Général de la CCI France à Taïwan, que je suis venue rencontrer pour un article. « Vous savez, les entrepreneurs français sont très peu à venir s’installer à Taïwan, alors qu’il y a de très belles opportunités pour eux. Je pense que ce climat de tension, que les médias français enveniment, est l’une des causes », poursuit le Directeur Général.
En fin de journée, le Président Taïwanais, Lai Ching-te a tout de même pris la parole. En réaction à ce « comportement irrationnel et provocateur », Taïwan a dit avoir déployé « les forces adéquates » pour « protéger la liberté, la démocratie ainsi que pour défendre la souveraineté ». Fin de l’épisode, la vie ne s’est pas arrêtée sur l’île et les Taïwanais savent qu’il y aura d’autres exercices militaires. « Jusqu’au jour où… », conclut tout de même un homme, accoudé au bar, dans le restaurant où je dîne. Au menu : noodles. On en mange des deux côtés du détroit…