Une sœur chez les frères ?

L’entrée en maçonnerie ou en religion, n’intéresse pas, a priori, le public. Qu’un tel ou une telle entre à l’église, à la mosquée, à la synagogue ou au temple (pour les protestants, mais aussi les francs-maçons) ne semble pas relever de l’intérêt public d’informer. Pourtant, quand il s’agit d’un personnage public dont le profil fait débat dans le temple maçonnique en question, il est utile de s’y pencher pour éclairer les lecteurs du territoire. Ainsi, Natacha Bouchart, maire de la première ville du Pas-de-Calais, fera son entrée, le 21 mai, dans la loge calaisienne « Tolérance et solidarité » du Grand Orient de France. Enquête en dissonances…

C’est une sacrée surprise. Natacha Bouchart en maçonnerie ? Au Grand Orient, qui plus est ! Qui l’eut cru… Les contacts entre la maire de Calais et les « frères » du territoire sont anciens. Ils datent au moins de 2006, quand la stratégie de celle qui était alors candidate à la mairie de Calais la conduisait à nouer des alliances avec des réseaux classés à gauche. Et notamment des francs-maçons. Calais se targue en effet d’être une des premières villes maçonniques de France sur le calendrier : « 1815 » disent les anciens. « Avant Dunkerque » ajoutent-ils en chœur. D’après nos sources, la ville compte une dizaine de loges maçonniques dont la moitié, classée progressiste, est issue du Grand Orient (GO) de France. « Que Natacha entre en maçonnerie, pourquoi pas » s’exclame un ancien franc-maçon de la Grande Loge Nationale de France (concurrente du GO et classée à droite). « Mais dans une autre ville et en toute discrétion ».

Notre homme n’a pas tort. Depuis la fin de l’hiver, on ne compte plus les sources qui nous informent de la préparation de l’entrée en maçonnerie de la maire de Calais. Le 5 mars dernier, la loge Tolérance et solidarité – Bernard Vasseur se réunissait pour faire état, entre autres, de la candidature de Natacha Bouchart. Certains membres ont toussé bruyamment dans la salle obscure du temple Stella Solaris… « Elle, chez nous ? Avec ses positions sur les migrants… » rigolait l’un. Il est vrai que la politique migratoire de la maire de Calais est loin d’être bienveillante à l’égard des exilés : « plus de force de sécurité » pourrait résumer son discours sur le sujet.

Natacha Bouchart n’a pourtant pas toujours été aussi radicale à l’égard des migrants. « Elle nous a versé des subventions jusqu’en 2014, mis à disposition un lieu, elle avait lancé un conseil des migrants. Tout allait plutôt bien tant que les exilés n’étaient que quelques centaines. Quand les chiffres ont explosé, elle nous a fait passer dans le camp de passeurs » raconte François Guennoc, ancien président de l’Auberge des Migrants. A l’époque, le Grand Orient a même financé l’association humanitaire calaisienne.

Encore très récemment, l’ordre maçonnique a organisé un symposium international sur les questions migratoires intitulé « La bienveillance dans le traitement des questions migratoires ». Au rebours du Grand Orient, l’impétrante Natacha Bouchart a émis des arrêtés municipaux anti-distribution de repas, refusé d’installer des douches, et a été contrainte par réquisition préfectorale de le faire… Une attitude que les organisations humanitaires jugent… peu humaniste.

Lors de la présentation de la candidature de Natacha Bouchart, un autre « frère » renchérissait : « Le Grand Orient a quand même la réputation d’être bouffeur de curé… Elle a fait toute sa carrière professionnelle à Saint-Pierre, le plus grand établissement scolaire privé de Calais ». Des dissonances qui s’ajoutent au caractère particulier de la candidate. Lors de la cérémonie du 21 mai prochain, Natacha Bouchart sera introduite par un apprenti dans l’assemblée des frères avec le bandeau sur les yeux, comme le veut le rite. Elle répondra à leurs questions lues par le vénérable maître, qui dirige les travaux de la loge, avant de ressortir du temple du quartier du Pont du Leu, toujours les yeux bandés.

Cette cérémonie fait suite à une triple enquête à laquelle procède le Grand Orient avant d’accepter un nouveau membre. Ces enquêtes n’auront pris que quelques semaines pour être bouclées et « tamponnées » par le siège de l’ordre rue Cadet à Paris. « Généralement, c’est trois à six mois pour la phase d’enquête » nous précise un ancien membre. Après son passage sous le bandeau, la loge votera au scrutin secret et il ne faudra pas plus de quatre boules noires (sur les quelques dizaines de membres) pour ajourner la candidate, mais il y a peu de crainte à avoir pour un postulant refusé, il est autorisé se présenter autant de fois qu’il le souhaite.

Silences et secret maçonniques…

Natacha Bouchart, maire de Calais, nous a indiqué que « tout ceci est privé » en nous remerciant « de ne pas avoir à intervenir ».

Michel Rolos, ancien conseiller de l’ordre chargé du patrimoine immobilier du Grand Orient n’a pas souhaité nous répondre sur ce point : « Il m’est interdit d’aborder ce sujet en application de notre règlement général ».

Fabrice Millon, responsable national de la communication du Grand Orient n’a pas répondu à nos sollicitations, malgré nos nombreux appels.

Quid du Grand Orient ?

La Franc-maçonnerie intrigue. Ordre « secret », elle est souvent, et à tort, l’objet de fantasmes, parfois nauséabonds. Dans les faits, les loges sont des associations régies par la loi de 1901 avec des procédures très cadrées, un rite, et une mise en réseau qui a pu franchir le cadre de la légalité à certaines périodes de l’histoire contemporaine.

« Première obédience maçonnique de France », le Grand Orient compte plus de 50 000 membres, dont à peine 6 000 femmes. « Issue du siècle des lumières », cette organisation dit vouloir travailler « à l’amélioration matérielle et morale, au perfectionnement intellectuel et social de l’Humanité » lit-on sur son site internet. Comme la République, sa devise est « Liberté, Egalité, Fraternité ». Une ambition bien grande pour un si petit nombre de personnes…

https://godf.org/rejoindre-le-godf/postuler

Sur le site d’Aletheia Press, page récapitulative de toutes nos investigations: www.aletheiapress.fr/index.php/category/linvestigation/