Reportage pluriel le long de la Côte Ouest avec ce premier épisode au Taïwan International Tools Event (TITE) dans la ville de Taichung, à 160 km au sud de la capitale Taipei.
Zack et les tambours
Dans le bus, une vingtaine d’hommes est assise. Quelques Pakistanais, un journaliste bulgare, d’autres blancs, dont un Australien. Ils sont silencieux, leurs sacs de présentation sur les genoux. Dehors, souffle un vent tiède, annonciateur d’un énième typhon. Au large, des navires chinois et états-uniens patrouillent. Dans le ciel, on aperçoit de temps en temps des Mig.
Dans la ville, on traverse de larges allées ponctuées de drapeaux taïwanais. Si Taïwan n’est pas à proprement parler un état internationalement reconnu, il tient à en montrer tous les attributs. Tous les 15 mètres, sur un poteau, flotte un drapeau. Derrière moi, se trouve un homme d’âge mûr, roux et souriant. « Zack » est un Juif qui vit en Australie et qui donne dans l’importation d’outils. Il a vécu un peu partout. Paris ( « Place Clichy ! » ), sa femme et ses enfants aux USA, quelques années en Israël et un peu au Liban dans les années 80. On se marre, on parle politique et on se sort la même blague : « Un Juif et un musulman dans un bus, fallait qu’ils s’assoient tout près l’un de l’autre ». On se file nos cartes et on promet de se revoir à l’hôtel.
On arrive au salon au bout d’une grande avenue. Après un tour-image, on s’aperçoit vite que le salon ne réunit pas les 400 exposants annoncés. À peine 70 stands se répartissent dans le grand hangar. Dans une salle feutrée et logée en fond de bâtiment, le lancement du salon attire les VIP. 200 personnes s’installent avant que les tambours ne commencent un show hyper-rythmé de cris guerriers. Moins virils, les discours des huiles suivent (ministre de l’industrie, présidents de fédération professionnelle, député, maire de la ville…). Le tout dans une ambiance de campagne électorale. On sourit aux attachés de presse pour avoir une interview du président de la fédération des fabricants d’outils, monsieur Lai Lian Zhu. « Tout à l’heure à 14h devant le stand de Macfix please ».
On tourne autour de l’allée centrale où l’on se fait gentiment alpaguer par madame Medea Chen, « sales of foreign Business » chez INB International Incorporation. Fournisseur de services commerciaux auprès d’une entreprise taïwanaise de fabrication d’outils. Cette quinquagénaire a tout de la commerciale percutante. « Nous avons de nombreux clients à travers le monde, mais la majorité se trouve aux États-Unis, en Europe et au Japon. Ce sont des importateurs, des usines, ou des grossistes. On source nos produits au Vietnam, à Taïwan et en Chine (continentale) parce que nous devons être attentifs au prix. Nos clients ont un plafond de prix. Nos productions sont majoritairement des outils à main, et leurs accessoires ».
Promenade au carré…
Les affaires sont bonnes en Europe ? « Nous cherchons d’autres clients partout dans le monde. En France notamment, mais avant, je pense que nous devons améliorer nos productions. La question n’est pas de voir le côté du fabricant, ou du client, ou de l’importateur. Nous devons coopérer ensemble ». Madame Chen se fait plus précise. « Le marché a changé. Nos clients nous demandent des prix bas. Les Européens veulent aussi réduire les coûts. Pendant le Covid, le business s’est arrêté avec la Chine. On a rapatrié toute la production à Taïwan. Ça a été une bonne chose au final. Depuis, les salons ont changé, avant il y avait des produits partout, maintenant, ce sont des écrans et des images… ». Madame Chen est lucide.
Dans une allée excentrée, je tombe sur un fabricant de pièces métalliques de Taichung. Tout souriant, Chen Yu Wang me reçoit et répond à mes questions. « Le marché est difficile entre autres à cause des tests qui nous sont imposés contrairement aux chinois. Comme nous ne faisons pas partie de l’ASEAN (Association des Pays d’Asie du Sud-Est), nous sommes contraints de tester 5 % de nos produits et parfois 8 % sur d’autres marchés ». Ce qui alourdit le coût de production et ralentit le flux.
Au déjeuner dans la cafétéria, un quinquagénaire vient s’asseoir à côté de moi. C’est un importateur américain d’origine pakistanaise qui vient ici depuis une dizaine d’années. « Ici, on trouve de la qualité. Pas comme en Chine où l’on va pour des bas prix. À Taïwan, ils utilisent de l’acier japonais bien plus performant que l’acier chinois ».
Après un dernier tour-image, je grimpe dans un taxi. Au menu, une visite au Gulu’s House, un « bistrot » français en plein cœur de Taichung. Le vent est fort, des branches craquent.
Morgan Railane, Taïwan, 4 octobre 2023