On a beau s’approcher de l’hiver, la Côte d’Opale connaît encore de bien belles journées ensoleillées, sans vent et dotées d’une météo marine bienveillante. Les dernières occasions de passer en Grande-Bretagne pour les exilés de Calais et de Grande-Synthe, à l’heure où la politique gouvernementale fait l’aveu de son inefficacité. Point de situation sur les plages de sable et de rochers….
La méthode « sécuritaire » d’interpellation d’exilés sur les plages « Ca marche pas. C’est pas compliqué à comprendre quand on est sur le terrain. Ça marche pas, c’est tout » explose un fonctionnaire de police qui a commencé à travailler à Calais quand les premiers migrants (des kosovars) sont arrivés en 1999. Ce n’est rien de le dire ! 2022 est particulièrement édifiante à cet égard : les tentatives de traversées de la Manche atteignent 65 000. Les réussites plus de 30 000 à fin septembre, d’après le ministère de la Défense anglais… Depuis 2021, année record déjà, les chiffres doublent. Et à l’approche de l’hiver, les craintes montent plus vite que les marées des plages de la Côte d’Opale. En novembre 2021, une embarcation de misère coulait avec 33 personnes dont 27 décèdent. Les victimes ont entre 46 et 7 ans… Depuis, de Zuydcoote (frontalière de la Belgique) à la Baie de Somme, les mouvements sont incessants et dépendent plus des conditions atmosphériques que de la présence des forces de l’ordre. « Quand une équipe est comprise entre 3 et 8 personnes, que voulez vous qu’on fasse face à 50 ou parfois 100 migrants décidés. On ne peut pas les arrêter. Quand ils sont sur la plage, le combat est perdu » souffle un autre policier interrogé sur place. À Sangatte, on tombe sur un groupe de 4 pécheurs : « Le bar vient manger à cette heure-là » explique le plus jeune. Et les migrants ? Vous en voyez ? « Oui régulièrement. Les pauvres. On devrait leur foutre la paix et les laisser aller en Angleterre. Après, ils sont parfois violents. Ils planquent des cailloux sur la plage pour caillasser les CRS quand ils les empêchent de prendre la mer » explique-t-il encore.
Amendes, rochers et crevaisons.
Signe des temps, les humanitaires relèvent ce qu’ils peuvent face à une population estimée à 1 200 / 1 500 personnes dans le Calaisis : du bois coupé, des vêtements, de la nourriture, des tentes, de l’accompagnement aux démarches administratives, de l’assistance médicale et psychologique… Tout un éventail de prise en charge que l’État a confié à son opérateur, l’association La Vie Active, qui ne suffit pas. Parallèlement à cela, les arrêtés municipaux ou préfectoraux réduisent depuis des années les périmètres « légaux » de distributions. « Les amendes pleuvent sur les bénévoles » se plaint l’ancien président de l’auberge des migrants, François Guennoc. Et les rochers sur la ville de Calais. La maire, Natacha Bouchart, compte éloigner les exilés du Centre-ville en les empêchant de poser leurs tentes avec ces roches… « On marginalise des populations et on les pousse dans les mains des passeurs. C’est ça le prix du non-accueil. » renchérit Pierre-Antoine Gelot, président de la structure. Cette dernière accueille un réseau de 9 autres associations et coordonne les actions d’aide et de soutien aux populations démunies. Chez Utopia 56, on constate l’évolution des flux et on n’hésite pas à porter des affaires en justice. En août dernier, après une opération de police qui est parvenue à stopper un départ de « small boat » en crevant l’embarcation, Utopia 56 a porté plainte pour mise en danger d’autrui. Quelques jours plus tard (le 26 août), la Direction Départementale de la Police Nationale à Arras adressait une note aux services concernés pour rappeler que cette pratique ne pouvait pas être employée si l’embarcation était à l’eau. Quelle que soit sa profondeur… En clair, on n’interpelle plus sur les plages.
« On fait de l’humanitaire, pas du sécuritaire ».
Sur le terrain, les agents ont immédiatement décroché, entraînant des arrivées massives sur les côtes britanniques. « On fait de l’humanitaire, pas du sécuritaire ! On empêche des gens de prendre la mer et de risquer leur vie. On voit des familles avec des nourrissons parfois. Croyez-moi, ce ne sont pas des opérations de police, c’est de l’assistance à personne en danger » explique un autre policier coutumier des opérations nocturnes. « J’ai passé une nuit plusieurs heures avec des migrants. Y avait un Malien parmi eux ; il me disait : on a fait des milliers de kilomètres. Je suis passé par la Libye, l’Italie, j’ai traversé la France et là, je vois les côtes anglaises. Vous croyez que vous allez m’arrêter maintenant, simplement en crevant un bateau ? » explique le même policier ; « la vérité, c’est qu’on ne les arrêtera pas après tous les efforts qu’ils ont fait pour arriver jusqu’à nos côtes. C’est tellement évident ». Pas assez pour Gérald Darmanin, le ministre de l’Intérieur qui poursuit une politique de répression des exilés via le démantèlement quasi-quotidien des abris des exilés. Le ministre a aussi offert des buggys, des drones (pas encore opérationnels) et de nouvelles tenues aux agents de terrain. Mais qu’est-ce que cet équipement pèse face aux passeurs qui s’adaptent en permanence… ?
Longe-cote et taxi-boat.
Après la diffusion de la note préfectorale du 26 août, on a ainsi vu arriver des taxis-boats qui longent la côte et ramasse les exilés qui les attendent sur des points fixés à l’avance ; ils entrent alors dans l’eau et grimpent dans les embarcations devant les yeux résignés ou blasés des CRS. 1 500 balles le passage et possibilité de payer un « pack » de 3 passages pour 2 000 euros ! Dans la Calaisis, à force d’être harcelés à chaque réveil matutinal, les exilés tentent de rester le moins longtemps sur la Côte. Et prennent ainsi la mer dans des conditions toujours plus dangereuses. C’est mathématique : plus il y aura de small boat et de taxi-boat, moins il y aura d’accueil digne et d’accès à un statut de réfugié plus simple à obtenir, et plus les risques seront grands de vivre des catastrophes comme l’an dernier. À BON ENTENDEUR !
Coup de couteau devant la gendarmerie
Assis au soleil devant les canaux qui coulent derrière les fenêtres de la mairie, une grosse centaine d’exilés mangent des plats préparés par une organisation britannique. La politique municipale sur la question migratoire repose essentiellement sur la répression. Mis hors du centre-ville en 2014, les exilés ont été poussé vers la zone des Dunes par la ville et l’état. À quelques centaines de mètres du port de Calais et devant la rocade où passent les milliers de camions qui embarquent vers le Royaume-Uni… On connaît la suite et la « Grande Jungle » et ses 11 500 habitants (1 Calaisien sur 8). Vendredi 7 octobre dernier, Hassan, jeune égyptien de 22 ans s’est pris un coup de couteau lors de cette distribution de nourriture. L’agresseur voulait lui couper les lanières de son sac témoigne un de ses amis sur place. Il a fallu appeler deux fois pour décider les pompiers à venir chercher le blessé et l’emmener à l’hôpital de Calais. La scène s’est déroulée en face de la gendarmerie de Calais. Au loin, des parents ramènent leurs enfants à l’entraînement de basket qui se déroule dans la nouvelle salle de sport à bord de quai. Cet équipement a été financé par l’État dans le cadre du Contrat de territoire avec la ville qui a reçu plus de 50 millions d’euros (du jamais-vu pour une agglomération de 100 000 habitants). Le prix du « préjudice à l’image de Calais » répète en boucle de puis des années Natacha Bouchart. Congratulations.
Ou est la note du 26 août ?
Nos confrères du Canard Enchaîné ont découvert une note de service issue de la Direction Départementale de la Police Nationale qui appelle les policiers à ne pas crever les bateaux sur lesquels les exilés prennent la mer. Question de sécurité et abri juridique contre des plaintes qui ne manquent pas d’arriver auprès des tribunaux comme celle d’Utopia 56. Au lendemain de la sortie de ce papier, signé Marine Babonneau, la préfecture du Pas-de-Calais a tenu une conférence de presse inopinée à Calais. Le nouveau préfet Jacques Billant fait longuement état des engagements de l’état sur la question migratoire : « 20 millions d’euros par an depuis 2017 ; 375 places de logements en 2022 contre 3 165 en 2021 et 450 en 2023 ; 1 100 repas distribués par jour. 2,5 millions depuis 2017 ! Deux sites de distribution et une mobile » a-t-il égrené. Quid de l’aspect sécuritaire du problème ? « Des matériels arrivent, oui, et donc plus d’effectifs sur le littoral. Le bateau arrive bientôt. Nos drones aussi » rassure le Directeur Départementale de la Police National (DDPN). La note du 26 août ?« Ça n’existe pas cette note ? De quoi parlez-vous ? Le cadre d’intervention est celui fixé par le préfet de zone en janvier ou février dernier » indique le Préfet. « Tout à fait. » appuie le DDPN.