L’ASTV, c’est une histoire municipale dont les fils sont entremêlés par des vies de militants, de fils d’élus, d’une génération qui a su hériter de ses parents ou relations qui dirigeaient la municipalité. Mais c’est aussi l’histoire de rancœurs entretenues au fil des déchirements politiques de la ville. Les début sont pourtant prometteurs et pleins d’enthousiasme.
Un ancien salarié émigré depuis à en Grande-Bretagne; Balachandren Armoogum, nous raconte : « Le projet de télévision locale a commencé vers 1983. C’était à l’occasion d’un film que voulait faire un professeur du lycée professionnel. Il s’est mis en relation avec la mairie qui a recruté un réalisateur, quelqu’un a trouvé une caméra. On tournait les week-ends dans un château à Bourbourg. Ca a duré quasiment 2 ans. La télé était dans la tour de la mairie ; on avait deux niveaux. Le studio et la salle de montage était en haut et les bureaux juste en dessous. On était une quinzaine dont 7 ou 8 permanents et quelques petits contrats et stagiaires. Ensuite l’ASTV est descendue au sous-sols de la mairie. Entre temps, on a même monté un salle de montage au quartier de l’Albeck dans un appartement. On faisait des petits reportages… ».
Une autre ex-salariée, Férouz Zaafour se souvient d’une époque de rêve : « pour moi, l’ASTV, ça a été un formidable tremplin professionnelle. Au niveau encadrement, acquisitions de compétences, travail en équipe… C’était vraiment bien ».
Une « famille » qui très vite se déchire
Dès le départ une ambiance très familiale s’installe… Le président de la télé n’est autre que le maire de la ville. « C’est le maire, René (Careme, ndlr), qui donnait les instructions, raconte Balachandren. Tout le monde ne pouvait pas y entrer. Mais si t’étais le fils de… Damien (Careme, fils de René et maire de Grande-Synthe de 2001 à 2019, ndlr) était déjà impliqué avec Patrice (Vermeersch, ancien Directeur de l’ASTV et ex-conseiller municipal de la majorité entre 2001 et 2008, ndlr). Alain Testa était déjà là ».
Grande-Synthe développe le socialisme municipal qui draine de nombreux engagements. Riche d’un tissu associatif très varié, la ville met en lumière les initiatives des habitants et construit la structure télévisuelle autour des associations dont certains cadres sont aussi adhérents au parti. La Télévision suit la municipalité quand celle-ci intègre la Maison Communale dont une extension lui est spécialement dédiée ; « c’était juste avant les élections municipales de 1989 » se souvient un ancien cadre de l’ASTV.
La majorité socialiste règne alors en maître jusqu’à ce qu’une scission survienne en 1992 à l’occasion de la succession de René Careme. André Demarthe, ancien cadre chez Usinor (aujourd’hui Arcelor-Mittal) lui succède, contre le candidat de René Careme, et hérite d’une télévision locale avec prés de 20 salariés ; Alain Testa fait partie de ses soutiens. Ce n’est pas le cas de Damien Careme, rédacteur en chef depuis 1986, qui quitte alors la chaîne et rejoint le service informatique, de la mairie de Loon-Plage.
Un télévision liée aux chamailleries politique locales
La guerre intestine violente que se livrent alors les camps Careme et Demarthe fend également l’ASTV… en trois. Il y a ceux qui soutiennent le premier, ceux qui soutiennent le second et les autres qui refusent cette politisation de la chaîne. Ces derniers demandent et obtiennent alors, le statut de journaliste après l’élection d’André Demarthe en 1995. Munis de leur carte de presse, ils sont « théoriquement » abrités des pressions politiques. Pour autant, le fonctionnement de l’ASTV continue de dépendre quasi-exclusivement de la mairie.
Et en 2001, la politique refait surface dans l’enceinte de la chaîne à l’occasion de nouvelles élections municipales. Maire sortant, André Demarthe se retrouve opposé à Damien Careme. Et les deux camps s’affrontent à nouveau. Et c’est Damien Careme qui, 30 ans après que son père eut pris la ville à la droite, endosse l’écharpe majorale. Sur sa liste : Patrice Vermeersch, qui fait ainsi son retour à la chaîne en siégeant au conseil d’administration au titre de sa qualité d’élu.
Les soutiens d’André Demarthe sont quant à eux évincés. Sylvie Lamy, devenue entre temps directrice, quitte la structure. Recrutée par René Carme et amie d’enfance de Damien, elle est remerciée et remplacée par Jean-Baptiste Guilbert (qui quittera le navire en 2012). Remercié lui aussi, Alain Testa, par ailleurs directeur de campagne d’André Demarthe. On le reverra en 2008, sera sur une autre liste Divers Gauche – battue – lors des municipales de 2008. Puis en 2014, il se présentera, encore, contre Damien Careme, sans grand succès, n’obtenant que 2,84 % des votes (soit seulement 249 voix).
Des directeurs en allers et retours
Les années 2010 donne à l’ASTV une occasion de changer de siècle. C’est l’époque où l’ASTV participe au lancement d’Opal’TV qui rassemble tous les territoires de la Cote d’Opale. La chaîne – qui durera moins de 3 ans – est présidée par Michel Delebarre, alors maire tout-puissant de Dunkerque, auprès de qui on retrouve, depuis l’été 2011… un grand-synthois. Patrice Vermeersch y officie comme Conseiller (Cadre Niveau 6), pour 4 000 euros bruts mensuels, comme en atteste des documents dont nous avons pu prendre connaissance.
L’homme est entre temps redevenu directeur de l’ASTV. En effet, lors de sa brillante réélection au premier tour en 2008, Damien Careme ne l’a pas pris sur sa liste. Patrice Vermeersch sort donc du Conseil d’Administration et commence un autre mi-temps à l’ASTV. Sa gestion va prendre fin tragiquement par un licenciement avec effet immédiat le 8 avril 2015. Des membres du bureau de l’association venant le faire sortir séance tenante…
L’épisode voit son dénouement dans l’embauche d’… Alain Testa. Ce dernier a fait un aller retour dans le Calaisis en officiant comme Directeur de la Communication de l’agglomération et a fait un passage au cabinet du maire d’un petit village de Flandre (Sailly-sur-la-Lys). Son retour étonne la plupart des salariés.
Une ambiance qui se détériore
Au sein de la chaîne, la situation se dégrade considérablement, avec des salariés en souffrance, et qui marquent le coup. Georges (prénom d’emprunt) témoigne : « Y a pas mal de choses. Ça a commencé avec W. qui est resté en arrêt 3 ans. Et puis y a eu X. qui a fait une rupture conventionnelle après 2 ans d’arrêt. Et puis une démission de Y. qui avait des problèmes de santé. Et dernièrement Z. qui n’en pouvait plus. » Le directeur général Alain Testa est directement mis en cause : « Alain a un rapport avec les autres qui n’est pas…. simple. Le problème de l’ASTV, c’est le bureau qui a l’impression d’être le patron. Alain ne se mouille pas, il a laissé faire. »
Un autre salarié, Michel (nom d’emprunt) évoque pêle-mêle et avec émotion son expérience de l’ASTV : « je n’en pouvais plus. Le management ? Il n’y a pas de communication. C’est inexistant. Testa ne vient jamais en rédaction. « Bonjour » le matin et c’est tout. Si on voulait lui parler, il fallait passer par le rédacteur en chef. Parfois il passait pour voir si on bossait. Aucune pédagogie, aucun discours constructif. » Il poursuit, emporté par l’émotion : « La médecine du travail est au courant de cette souffrance. Elle s’est déplacée physiquement. Y avait déjà 3 personnes en souffrance sur 9. Testa claque les portes. Il s’en est pris aux 3 personnes MDPH (souffrant d’un handicap). On a été mis au placard. On était en mal-être. Ensuite, il s’en est pris au dernier arrivé. En 2020, on a forcé un collègue à aller à la Polyclinique ; il était tout rouge. Il était vraiment pas bien. Il y a la peur aussi : on finit par se satisfaire de ce qu’on a… ».
La gouvernance de la chaîne basée sur un bureau composé de représentants d’associations hétéroclites (cf encadré) ne simplifie rien. « L’attitude de Testa est cautionnée par le bureau, assure Michel. Et la mairie sait tout ». Georges confirme : « L’ambiance avait choqué Martial (Beyaert, maire de la ville depuis 2 ans, ndlr) quand il était au conseil d’administration. Qui faisait la grille ? C’était le bureau de l’association ! Il disait que ça devait se faire avec l’équipe. Ensuite, en interne, ça a soufflé… »
Une chaîne en train de mourir ?
Les conséquences dépassent le seul enjeu humain… « Quand il (Alain Testa, ndlr) est revenu, la première chose qu’il a arrêté, c’est le sport. Puis l’émission Économie. Tout ce qui marchait. Les cassettes d’archive sont en mairie et inexploitées… Le plateau ne sert à rien. C’est un réel gâchis, un média local qui est en train de mourir », se désespère Michel.
Et pourtant, la chaîne-maison dirigée par un clan depuis son origine n’est pas à plaindre. Richement dotée grâce à l’implantation d’Arcelor-Mittal sur son sol, la commune cumule plusieurs dizaines de millions d’euros de recettes fiscales. Et a donc les moyens de se payer une télévision. L’ASTV est liée à la municipalité synthoise par un Contrat d’Objectifs et de Moyens qui régit son activité. Contre une subvention conséquente, la télé s’engage à couvrir les actions de la ville et des associations. Financièrement l’ASTV n’a donc jamais eu de souci. Même lorsqu’un salarié quittait l’entreprise, le chèque de départ ne posait pas de problème. Ce fut, entre autres, le cas d’Alain Testa et de Patrice Vermeersh.
A suivre
Une association pour le moins hétéroclite
La composition de l’association ASTV a fait entrer la municipalité dans un jeu de pouvoir qui semble la pétrifier. En effet, l’ASTV est principalement composée d’adhérents qui sont des associations synthoises aux buts divers et variés. Parmi les 22 membres associatifs, on compte 5 clubs et unions sportives (du javelot, à la pêche), des structures sociales plus ou moins dépendantes de la mairie comme la Maison de l’Initiative (à ne pas confondre avec le Syndicat d’Initiative lui aussi adhérent), Emmaüs, la CLCV qui traite des problèmes des consommateurs. Une autre encore : Au départ d’Ajar qui fait dans l’humanitaire. Et pour finir l’association Aider Associer Agir elle aussi dans le champs social. L’histoire synthoise prend aussi une large place parmi les adhérents de la télé avec des 2 associations d’Anciens Combattants, un Conseil des Sages, le Musée de la Sidérurgie et les Mémoires de Grande-Synthe. D’autres associations plus pittoresques encore terminent ce large tour de table :comme celle du président Roger Carpentier qui a trait à l’Aquariophilie et à la Terrariophilie, ou celles qui rassemblent pêle-mêle des archéologues, des jardiniers, des arabo-berbères (qui répondent au très joli nom d’Afous Gfous) et d’autres patoisants… Devant ce sympathique tableau, les journalistes restent perplexes et souvent sans illusions.
Note de la rédaction : Pour l’heure, certains acteurs de ce dossier n’ont pas donné suite à nos sollicitations. C’est le cas de Martial Beyaert, l’actuel maire de Grande-Synthe, de Damien Careme, ancien maire de Grande-Synthe et ex-rédacteur en chef de la télé locale, et d’Alain Testa, directeur de l’association ASTV.