Reportage pluriel le long de la Côte Ouest de Taïwan, où l’on rencontre des femmes pleines de nostalgie au milieu des plantations de litchis près de Kaoshiung et la fine fleur de la gastronomie au coeur de la capitale Taipei.
Fruit divin et table gastronomique
Le lendemain de mes échanges avec les tenanciers du Gulu’sHouse, sur le quai de la gare « TGV » de Taichung, j’admire la propreté de l’ensemble du site. Cameras, portiques et personnels marquent les lieux. Je prends un billet à la caisse, 790 DTN pour aller à la gare de Zuoying, près de la ville de Kaohsiung d’où vient de sortir le premier sous-marin taïwanais. Le High Speed Railway arrive en gare. Plus large que notre TGV, il a été réalisé « sur mesure » par Alstom. Du temps ou la France était une puissance ferroviaire…
Je rejoins le wagon où m’attendent Salomé Chia Ting, une chercheuse taïwanaise en microbiologie marine qui a fait toutes ses études en France, et Lina, une jeune esthéticienne, spécialiste des sourcils. Nous allons voir la petite exploitation de sa maman dans le district de Dashu dans les premiers monts des vallons de l’île. Là pousse le litchi. Implanté fin XVIIème dans l’île en provenance de Chine continentale, le fruit s’est trouvé un site idéal sur les pentes des montagnes. La légende dit qu’un prince, voulant satisfaire sa femme préférée, dépensait des fortunes dans ces fruits. On les a appelés les litchis de jade : « Yuhebao ».
Madame Wong cultive ses deux parcelles depuis 33 ans. Elle a repris l’exploitation de son mari qui n’y travaillait pas. « Ici, le noyau est petit, il y a plus de chair. Il est très juteux » explique Salomé. La saison s’échelonne entre mai et août. Mais avec le changement climatique, la récolte se fait plus tôt. La fille de la productrice se plaint : « Cette année, on a fait 20 % de ce qu’on faisait l’an dernier. A cause du climat et d’un insecte qui est venu de Chine il y a quelques années ». Elle parle de la « Tassaratoma papillosa » : une punaise de 3 centimètres qui vit du Pakistan à l’Australie en passant par la Chine, le Japon et Taïwan.
Après avoir fait le tour de l’exploitation, on descend en mobylette. Au temple émergent des moments d’émotion quand Madame Wong évoque la mort de son mari et la situation de plus en plus difficile pour les cultivateurs. Personne ne veut reprendre son activité. « Il n’y a de recettes que pendant 3 mois dans l’année. Même les immigrés vietnamiens viennent moins ou pour plus cher » souffle-t-elle. Si la récolte est perdue, le gouvernement aide les agriculteurs. « Avant, on exportait. Mais un groupe de commerçants a planté des arbres à litchis en Chine continentale. Dans l’île de Hainan. Toutes les commandes sont parties là-bas » ajoute-t-elle.
Madame Wong craque et prie son dieu. « Priez, priez avec moi, c’est un dieu bon. Il m’a beaucoup aidé ». Je regarde la statue miniature d’un vieil homme aux cheveux et au regard noirs ébène l’air plus terrifiant que bienveillant et qui me regarde fixement. Je le salue et lui dit que je ne lui veux pas de mal (mais que je sais me défendre aussi). Je m’éloigne en le tenant à l’œil. On retourne « aux champs ». J’ose la question : Faire venir des chinois du continent ? « A Taïwan, on sait que l’immigration chinoise est un danger. On veut la paix, pas la colonisation ». Nous allons déjeuner chez madame Wong. Au menu, une soupe de poulet aux bambous et au riz. On se quitte en s’embrassant et en blaguant. Vite, le taxi, et on file vers la gare TGV de Zuoying. Direction Taipei. Ou l’on arrive moins de deux heures plus tard sous un ciel très chargé.
La capitale se veut jolie
Dans la capitale, le monde afflue. On prend un métro pour aller plus avant dans le centre-ville. On repère l’adresse de mon hôtel. Le Citizen. Je décide de marcher un peu dans la ville. Je finis par repérer le palais présidentiel. L’hôtel n’est plus loin.
Un mini-break et je repars pour mon dernier rancard « taïwanais » avec le chef Gildas Périn qui conduit son équipe d’une dizaine de salariés au Clover Bellavita, restaurant gastronomique français. Logé au 4ème étage d’un énorme bâtiment d’un grand boulevard du centre-ville, le restaurant appartient au célèbre chef doublement étoilé Jean-François Piège.
Dans la salle, les serveuses sont toutes taïwanaises, et masquées. Le chef m’installe d’autorité et m’envoie les premiers amuses bouches… Le Desk m’a pris un rendez-vous avec le menu. Une crème de noix arrive. Ail avec pain chaud. Puis une huître (taïwanaise) seule avec des petits morceaux de concombre sur un lit de glace. Survient une mini-tartelette de petits pois croustillante à souhait. Se pointe ensuite une cuillerée de caviar enfouie dans une gelée de saumon placée elle-même dans le creux d’une demi bint’che glacée, un gros fruit local au goût proche de la poire.
Autour de moi, deux tables avec 3 et 4 personnes. Voilà enfin l’entrée : Œuf sur cendre. Sublime, coulant, goûteux sur son lit de champignons. Le plat de résistance fait ensuite son apparition : un saumon crémeux. Une noisette d’une grande tendreté. « Vous devez le goûter avec ça ». Gildas Périn me sert un riesling d’outre-Rhin en vendange tardive. Après les plats, on se met dans une salle privative entre la grande salle et la cuisine. « Ma mère est de Gujan-Mestras et mon père est normand. J’ai vécu 2 ans aux États-Unis avec mon père ». Le chef a déjà de multiples expériences à Taïwan. « Je suis venu ici une première fois entre 2017 et 2019. Puis je suis parti. Depuis un an, je suis revenu à Taipei. La scène gastronomique a évolué à une vitesse folle. Beaucoup d’ouvertures. Les clients sont très pointilleux. Mais les esprits s’ouvrent. Pour autant, il faut toujours intégrer leurs codes. Par exemple, mettre des assiettes de partage c’est un incontournable : les gens aiment partager ici » raconte-t-il.
Je plante le dessert. Et oublie de prendre un café. On s’est attardé près d’une heure pendant que sa brigade s’est lancée dans le nettoyage. On se dit au revoir comme deux compatriotes et on promet de « stay in touch ». Ou de se croiser sur le Bassin d’Arcachon. Dehors, il pleut et j’attrape un taxi. Je dodeline dans la voiture et on arrive à l’hôtel 15 minutes plus tard. Deux heures plus tard, mes sacs sont prêts et je m’endors pendant que les images du matin, à Kaohsiung, filent sur le serveur.
Vendredi 6 octobre : speed-back to Europe
Il est 5h00. La grande baie vitrée de l’hôtel laisse passer les lumières du centre-ville de Taipei. Je croise les cuistots et les serveurs dans la salle à manger collective où ils préparent la salle : « Sit down sit down, what do you want to eat ? ». Un taxi m’amène à l’aéroport. Je décolle à 9h00. Arrive à Londres en fin d’après-midi. Rapide transit avant de finir à Roissy. Dans l’avion, je pense toujours à « Zack », le juif Australien que j’avais rencontré au début de mon séjour et à nos blagues. Le lendemain 7 octobre, les médias annoncent un nouveau tournant dans le conflit Israélo-palestinien…
Morgan Railane, Taïwan, 6 octobre 2023